Kamikazes?
Suite à l’attentat de Manchester, hier 22 mai 2017, j’entends à nouveau le mot « Kamikaze » employé pour désigner les auteurs d’attaques-suicides islamistes.
Le hasard veut que, au moment ou l’attentat se produisait, je terminais de regarder le film « Kamikaze, le dernier assaut », film japonais sorti en 2013 qui raconte l’enquête menée par deux jeunes japonais sur leur grand-père mort en 1945 dans une attaque kamikaze. Et de la même façon que je refuse de sortir le mot « Apartheid » de son contexte historique, je considère que l’emploi du mot « Kamikaze » pour désigner des auteurs d’attentats-suicides islamistes est totalement hors-sujet.
« Kamikaze » est un mot composé qui veut dire « Vent Divin ». Il est utilisé dans l’histoire du Japon pour désigner les typhons qui auraient détruits les forces mongoles au XIIIème siècle. Durant la Seconde Guerre Mondiale, ce terme a désigné la première unité d’attaque spéciale, Tokubetsu kōgekitai, une escadrille de pilotes d’avions composée de pilotes d’escorte et de pilotes d’attaque suicide, principalement sur les navires de la flotte américaine. Mais toutes les escadrilles ne s’appelleront pas « Kamikaze »! Le mot deviendra courant, pour désigner ce phénomène, parce qu’il est utilisé par la propagande japonaise et repris par les Alliés.
Leur première attaque officielle a lieu lors de la bataille aéronavale de Leyte en octobre 1944. 5 avions Mitsubishi A6M5 « Zero » plongent sur les navires américains avec chacun un bombe de 250 kg à bord. 4 atteindront leur cible. Le plus gros succès sera l’explosion et le naufrage du porte-avions d’escorte USS St-Lo, l’ancien USS Midway renommé 15 jours avant pour commémorer la bataille de Saint-Lo, en Normandie. Frappé par l’un des avions sacrifiés, l’USS St-Lo explose et coule en 30 mn.
Les attaques « Kamikaze » atteindront leur point culminant à la Bataille d’Okinawa d’Avril-Juin 1945 où plusieurs centaines d’avions seront crashés volontairement sur des cibles américaines. On y verra notamment apparaître des bombes volantes pilotées, les Yokosuka MXY-7 « Ohka » (Fleur de Cerisier). Avec une charge explosive de 1200 kg, ces avions à moteurs-fusées étaient largués par des bombardiers et pilotés jusqu’à leur cible par leurs pilotes qui périssaient dans l’attaque. Ils étaient l’équivalent du V-1 allemand mais pilotés par des humains et destinés à des cibles militaires.
Pourquoi est-ce que j’objecte ainsi sur l’application du mot « Kamikaze » aux attentats-suicides islamistes? Pour plusieurs raisons mais avant, je me dois de mettre un point bien au clair:
En aucun cas je ne vais reconnaître plus d’honneur ou de mérite aux pilotes japonais qu’aux terroristes islamistes. On a souvent tendance à oublier, en Occident, ce que furent les Japonais entre 1932 et 1945 en Asie. Nous sommes focalisés, non sans une excellente raison, sur les crimes Nazis et sur la très particulière et unique Shoah, ce qui peut avoir tendance à nous faire occulter les autres crimes contre l’humanité de la Seconde Guerre Mondiale ou même de la période générale. On peut évoquer les 7 millions d’Ukrainiens disparus sous la politique de Staline avant guerre, par exemple mais puisqu’on parle de la Seconde Guerre Mondiale, il ne faut surtout pas oublier ou minimiser les crimes du Japon: La bataille de Shanghai, le viol de Nankin, les réseaux de prostitution d’esclaves sexuelles pour officiers japonais dans tout le Sud-Est Asiatique, les attaques biologiques de l’Unité 731 sur des populations chinoises, la marche de la mort de Bataan, les concours de décapitation de prisonniers entre officiers japonais ou les cas de cannibalisme institutionnalisé sur des prisonniers de guerre occidentaux!
Encore aujourd’hui en Asie, que ce soit en Corée ou en Chine, les tensions sont vives au sujet de l’occupation japonaise entre 1932 et 1945 et aux gentils humanistes qui s’esclaffent d’horreur devant les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, je réponds sans baisser les yeux que, si l’on additionne les victimes des deux bombardements atomiques en y ajoutant le bombardement incendaires de Tokyo (qui a été pire que les bombes A), on atteint la même échelle que le chiffre des victimes chinoises de l’armée japonaise pour la seule ville de Nankin et on n’atteint même pas, et de loin, le chiffre des victimes d’attaques biologiques japonaises!
Donc non, je n’ai certainement pas l’intention de faire une échelle de valeurs ou je mettrais les pilotes japonais au-dessus des terroristes islamistes. Quiconque a défendu ce régime japonais de militaristes fous furieux et s’est battu pour que ces horreurs puissent se dérouler et subsister plus d’une décennie ne mérite pas mon respect et je ne veux pas entendre « l’excuse d’Eichmann »: « je n’ai fait qu’obéir aux ordres ». Si on est un humain, on a un cerveau et on s’en sert. Si on se comporte de façon pire qu’un animal, il ne faut pas s’étonner d’être abattu comme un chien!
Ceci étant clarifié, il faut tout de même observer et admettre que la mentalité japonaise de la Seconde Guerre Mondiale qui mène à la tactique Kamikaze et la « mentalité » djihadiste qui mène aux attentats de New-York, du Bataclan ou de Manchester n’est pas du tout la même et ne peut pas être comparée.
En premier lieu, les Japonais étaient (et sont toujours d’ailleurs) une nation ancienne avec une langue, une culture, une spiritualité et un modèle de société homogène par rapport à l’espèce de « gloubi-boulga » que composent les Djihadistes qui viennent d’un peu partout et n’ont en commun qu’une folie islamiste sur laquelle ils ne sont même pas d’accord! Le régime japonais était un Empire, doté d’un Etat puissant et centralisé qui a mené une politique et une stratégie correspondante avec des objectifs, certes contestables mais tout à fait fondés en géopolitique et en pratique si on se place de leur point de vue. Rien à voir avec l’idéal hétérogène d’un monde peuplé de tueurs fanatiques et de cadavres en devenir des groupuscules islamistes.
Mais surtout, et pour éviter de faire un thèse universitaire exhaustive sur les différences entre Kamikazes et Terroristes, l’action Kamikaze s’inscrit dans l’idée d’une mort par devoir envers le Japon, par honneur envers sa famille, par refus du déshonneur de la défaite, dans la tradition du Bushido, le code guerrier et chevaleresque des Samouraïs. Si la plupart des pilotes kamikazes étaient volontaires, la joie et l’extase du martyr n’est pas du tout la norme. Il suffit de voir des photos ou vidéo du rituel du Saké avant le décollage pour percevoir que ces très jeunes pilotes très peu formés sont tristement résignés au sort que leur culture et leur société les ont conduit à adopter. J’ai lu quelque part qu’il faut comprendre la notion de dévouement total pour comprendre la mentalité japonaise. Ces pilotes ne partaient pas dans le but d’un martyr religieux et d’une récompense dans une autre vie mais dans la vision de ce dévouement à sa famille, à son pays, à son Empereur, porté à l’abnégation suprême. Ce n’est pas une radicalisation idéologique subite venue des tréfonds de la perversion intellectuelle des Nazis, des Communistes, des Wahhabites ou autres et s’attaquant à des jeunes déboussolés ou à des délinquants en mal d’appartenance, c’est l’aboutissement somme toute logique d’une culture du dévouement, de l’honneur et de la victoire, forgée durant des siècles de féodalité et de culture japonaise et rendu inévitable par la proximité de la défaite. C’est la même logique qui conduit aux charges suicides d’unités japonaises encerclées ou démunies, aux suicides massifs dans les grottes d’Iwo Jima ou au Seppuku, le suicide rituel, pratiqué par beaucoup d’officiers japonais, avant ou après une défaite face aux Alliés.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur la vision japonaise de la mort, sur le plan de l’approche spirituelle mais il n’est pas difficile de comprendre, même en grattant juste à la surface comme je viens de le faire, que la mentalité du Kamikaze japonais qui jette son « Zero » sur un porte-avion américain n’a rien en commun avec celle du Djihadiste « international » qui fait détoner une ceinture d’explosifs à l’issue d’un concert pour adolescents ou même du terroriste palestinien qui jette sa voiture piégée sur un check-point israélien.
Je le répète en guise de conclusion, il ne faut certainement pas penser que les défenseurs kamikazes des terribles crimes du régime Shôwa sont meilleurs humainement, à mes yeux, que les djihadistes. Et à titre d’encouragement pour tous ceux qui sont effrayés autant par les kamikazes que les djihadistes, je vous invite à vous intéresser à l’histoire du Destroyer USS Laffey DD-724, le 16 avril 1945 au nord d’Okinawa qui a été frappé par 4 bombes d’aviation et pas moins de 6, oui, six avions Kamikazes lui causant 32 morts et 71 blessés mais qui est resté à flot, a été réparé malgré une collision avec un sous-marin pendant ses essais de réparation et a à nouveau servi l’US Navy pendant la Guerre de Corée et la Guerre Froide et à même participé à la crise de Suez de 1956 ou Israël était impliqué!
Pug