Conspiration, le film de Wannsee

Je me suis procuré « Conspiration », un téléfilm produit par HBO et la BBC sorti en 2001. Le scénario est basé sur le seul compte-rendu survivant de la Conférence de Wannsee du 20 Janvier 1942 dans laquelle les SS imposent leur commandement unifié de la question juive et surtout généralisent l’extermination comme solution finale à la question juive dans la sphère d’influence du IIIème Reich.
Un précédent film avait été fait en 1984, par des allemands et en langue allemande, sur le même sujet. Bien sûr, ces films font appel à la fiction pour les dialogues puisqu’il n’existe aucun enregistrement ni de transcription littérale des paroles de chacun. Mais ces films suivent la trame du compte-rendu et les prises de parole majeures qui y sont inscrites.
Dans le plus récent « Conspiration », on y retrouve des acteurs connus comme Kenneth Branagh dans le rôle de Reinhard Heydrich, Stanley Tucci dans le rôle d’Adolf Eichmann et Colin Firth dans le rôle de Wilhelm Stuckart, l’un des auteurs des lois raciales de Nuremberg.
Je vous avoue que j’ai du le regarder plusieurs fois, en français et en anglais, tellement le sujet de la conférence et les dialogues paraissent surréalistes. Les comédiens parviennent à donner une impression de banalité administrative ennuyeuse à une réunion qui scelle définitivement le sort des Juifs tombés aux mains des Allemands en Europe. Alors que le sang se glace aux noms d’Heydrich et Eichmann en temps normal, on se retrouve là en présence de haut fonctionnaires calmes, bureaucratiques et détachés qui discutent de l’extermination des Juifs sur le même ton, certainement, que la question de l’abattage des canards du Sud-Ouest à la Préfecture du Gers. Pas une complot malsain de monstres inquiétants mais une réunion de travail de haut-fonctionnaires ennuyeux, dirigés par un homme charmant et éduqué, Reinhard Heydrich.
Je suis très admiratif des acteurs, surtout Kenneth Branagh qui a une grande partie du texte à prononcer et qui le fait, totalement dans son rôle, sans jamais laisser paraître qu’il puisse être révulser par ce qu’il dit. Pourtant, il a confié que ce rôle lui a provoqué des cauchemars persistants pendant plusieurs semaines. Colin Firth est également très bon mais il peut masquer son trouble dans l’énervement qu’a montré Wilhelm Stuckart pendant la conférence sur la question juridique des « semi-juifs ». Je suis tout de même sidéré par la qualité des acteurs qui parviennent à jouer ces scènes sans avoir l’air dérangés par ce qu’ils font.
C’est ça le pire, dans ce film. On ne ressent rien. C’est une réunion de boulot, ennuyeuse et technocratique et elle le serait encore davantage sans la présence charmante de Reinhard Heydrich qui déploie des trésors de savoir-vivre et de diplomatie pour mener les débats. On y ressent ce qui a certainement été l’ambiance réelle de cette condamnation totale et définitive des Juifs d’Europe: un ennui technocratique, sans émotions, sans sentiment d’horreur ou de barbarie.
On aura beau nous bassiner avec le fait que la Shoah n’est pas le seul ni même le pire génocide de l’histoire en terme d’ampleur ou de barbarie, il sera difficile de trouver dans l’histoire une organisation administrative et technique aussi froide, détachée et ennuyeuse que celle de la Solution Finale à la question juive dans la sphère d’influence du IIIème Reich.
« Mais ils ont pas fini de nous faire chier avec leur Shoah, c’était il y a 70 ans! » entends-je déjà.
C’est indéniable, c’était il y a 70 ans, un éternité pour la jeunesse d’aujourd’hui. Mais vous m’excuserez. La plupart des participants à cette conférence ennuyeuse pour mettre à mort des millions de Juifs sont décédés dans leur lit, de mort naturelle, sans avoir été inquiétés, de mon vivant. Oui, j’ai été contemporain de ces mecs. Désolé, pour moi, ce n’est pas de l’histoire ancienne. C’était hier.

Pug