Courageux ou trouillard?
La réaction de trois jeunes américains, dont deux militaires, et d’un britannique lors de la tentative d’attentat dans le train Thalys entre Amsterdam et Paris, le 21 août 2015 a fait couler beaucoup d’encre et a fait postillonner beaucoup de grandes gueules depuis que ces 4 hommes ont réussi à ceinturer, plaquer et neutraliser l’auteur de la tentative, Ayoub el Khazzani.
Pour avoir un déroulement complet et fiable des événements, il faudra attendre que l’enquête soit terminée. Pour le moment, les journaux qui se risque à faire un film des événements se contredisent sur de nombreux points.
Toujours est-il que, visiblement, un certain nombre de personnes ont tenté d’intervenir et que les trois américains, aidés d’un consultant britannique vivant en France depuis 20 ans, ont réussi à mettre fin à la tentative d’attentat en se jetant sur l’assaillant, en le rouant de coups et en l’étranglant jusqu’à ce qu’il perde connaissance. L’Aviateur de 1ère Classe Spencer Stone de l’US Air Force est visiblement celui qui a sauté sur Ayoub el Khazzani et l’a étranglé malgré les blessures par cutter à l’oeil et à la main reçues pendant la bagarre, pendant que Alek Skarlatos, Anthony Sadler et Chris Norman distribuaient à l’assaillant, sans doute, la branlée de sa vie.
On pouvait s’en douter, une bien légitime histoire d’héroïsme se fait jour suite à l’intervention de ces jeunes américains. L’Amérique adore les héros du quotidien, ces citoyens comme les autres qui un jour deviennent extraordinaires par un choix d’audace, de volonté et de courage et qui, en plus, ont l’humilité de dire qu’ils ont juste fait ce qu’il fallait faire. La France, elle, est bien heureuse d’avoir échappé à un nouvel attentat mais on sent comme une gêne, comme un complexe d’infériorité, comme une jalousie frustrée qui pointe à la mention de la nationalité et du métier de ces héros. Des Américains et des militaires. Dans un pays qui cultive avec un snobisme calculé le mépris condescendant, quand ce n’est pas la haine larvée, de la jeune nation américaine, tour à tour accusée d’être trop naïve ou trop dominante, cette action providentielle menée par des jeunes américains, dont deux sont des « GI’s » en plus, fait pousser à certains des relents de « Yankees Go Home » qui tendent à prouver que l’esprit de Mai 68 est vraiment le cancer de notre époque. Alors quand on apprend que, pendant que des soldats américains et un britannique (encore eux!) combattaient contre un agresseur de la vieille Europe pendant que les agents de la SNCF abandonnaient (une fois de plus?) tout esprit citoyen ou même humain en se planquant dans une motrice et que la glorieuse exception culturelle française, en la personne de Jean-Hugues Anglade, ne pouvait que tirer le signal d’alarme, on a la très désagréable sensation, après avoir autant gueulé contre le « parapluie américain », de se sentir encore trempé…
Alors, chacun y va de son commentaire, mettant en avant la tentative d’intervention d’un employé de banque français, se payant la tête de Jean-Hugues Anglade ou en fustigeant l’attitude des cheminots! Selon beaucoup, la France a perdu tout courage, tout sens de la bravoure, tout esprit citoyen. Rien à garder, même pas l’eau du bain! La France est mièvre, molle, rouillée, encrassée. En un mot, foutue. N’y a t’il personne, en France, qui aurait eu le courage de ces américains? Arrêtons de flipper, bande de chiffes molles! Aux Armes, Citoyens, etc! Il y en a même, sur la page Facebook des CGQDI, qui pensent que seuls les Goys ont encore le courage nécessaire et qui sont sûrs que nous, on aurait agi…
Désolé de décevoir nos fans les plus ardents mais tous autant qu’on est dans l’équipe, on peut faire notre cette réplique de cinéma, prononcée par Michael Douglas dans « The Ghost and the Darkness »: « On espère à chaque fois qu’elle (la bravoure) sera au rendez-vous, mais on en est jamais vraiment sûr… »
Jusque récemment avec la prise de conscience du Syndrome Post-Traumatique de Combat, les soldats qui craquaient au front étaient simplement considérés comme des lâches, des « P4 » selon la classification psychologique du service national en France, ou encore comme dans le Bomber Command britannique de la Seconde Guerre Mondiale, des LMF: Lack of Moral Fibre (Manque de Fibre Morale). Selon certaines sources, cette mention infamante de LMF était aussi apposée aux soldats britanniques jusqu’en 1915, date à laquelle les médecins militaires ont commencé à se demander si cette mention pouvait décemment être apposée à de vieux soldats vétérans décorés de la Guerre des Boers (qui a été très loin d’une partie de plaisir) et qui pleuraient comme des enfants apeurés après une période dans les tranchées en première ligne. La notion de « Shell Schock » (littéralement Choc d’Obus) est alors apparue pour expliquer que même des soldats aguerris pouvaient voir leur bravoure s’effondrer sous la pression de la guerre, que l’on expliquait de façon sommaire par une trop grande exposition à la puissante artillerie de la Grande Guerre.
Tout soldat sérieux le dira, soit parce qu’il l’a vécu lui-même soit parce qu’il a écouté les anciens et lu des témoignages de vétérans, chaque combattant est conscient, terriblement et cruellement conscient qu’il ne sait pas comment il réagira lorsque les balles siffleront, quand les camarades tomberont, quand l’ennemi sera à portée de corps à corps ou quand il faudra tenir longtemps sous la pression des assauts. Mais ce qui est vrai pour les soldats l’est aussi pour le reste des humains. Rien ni personne ne peut garantir qu’un homme ou une femme sera à la hauteur des événements qui lui tombent dessus. Rien ni personne ne peut être sûr qu’il sera un héros ou même qu’il fera simplement son devoir.
L’histoire est remplie d’hommes courageux qui s’effondrent, d’hommes durs et entraînés qui ne tiennent pas le choc, de généraux brillants à l’Ecole de Guerre et paralysés de terreur sur le champ de bataille, d’étudiants en chirurgie qui ne parviennent pas à passer le cap de la responsabilité d’une intervention ou de mères qui ne se pardonnent pas d’avoir abandonné leur enfant pour sauver leur vie. Un exemple parmi tant d’autres, pour ceux qui connaissent l’histoire de la « Easy Company », l’unité de parachutistes américains de la Seconde Guerre Mondiale, immortalisée dans la série « Band of Brothers » (Frères d’Armes, en français): Le Lieutenant Norman Dike qui s’effondre totalement pendant l’assaut sur la ville belge de Foy, le 13 janvier 1945, avait reçu la médaille des blessés (Purple Heart) durant la campagne de Hollande de septembre 1944 et surtout deux « Bronze Stars » dont une 10 jours avant l’attaque sur Foy pour des actions héroïques. Et inversement, j’invite chacun à lire l’exceptionnel livre de Richard Hillary « Le Dernier Ennemi » qui explore comment la génération désabusée de jeunes gentlemen insouciants, suffisants, vains et sans ressort d’Oxford et de Cambridge est devenu très exactement la génération de pilotes de chasse britanniques de Spitfire et de Hurricane qui ont tenu tête aux loups fanatisés et expérimentés de la Luftwaffe pendant la Bataille d’Angleterre et le Blitz.
N’avez-vous jamais eu peur de vous-même, de vos propres peurs, de vos propres réactions? Eh bien, confidence de Pug, une fois n’est pas coutume: ma plus grande peur est justement d’avoir peur et de ne plus me maîtriser. La devise du Général Marcel Bigeard et qui était aussi celle de ma préparation militaire, « Etre et durer », est un rappel lancinant que je ne peux pas et ne dois pas me reposer sur mes lauriers parce qu’un jour funeste, celui justement ou j’aurais du « être », il se pourrait bien que je m’aperçoive que je ne « suis » plus.
Je ne jetterais pas la pierre à ceux qui ont fui, à ceux qui ont levé les mains dans le combat ou à Jean-Hugues Anglade que certains accusent un peu vite alors qu’il était avec ses enfants qu’il se devait de protéger. Je n’ai jamais été à la place de quelqu’un qui craint pour sa vie. Je n’ai jamais été menacé directement de mort avec une arme sous le nez. Je n’ai pas eu à choisir de vivre ou mourir pour protéger ou sauver quelqu’un. J’admire ceux qui ont agi mais je ne jette pas la pierre a ceux qui ont fui.
Parce que je ne sais pas si je suis un courageux ou un trouillard…
Pug