Feux de haine à Douma?
L’une des grandes tares du journalisme actuel, avec l’absence de mise en contexte des événements, c’est ce qu’on pourrait appeler la « date limite de consommation ».
On nous balance un scoop avec son lot d’émotions à chaud et on en parle plus.
Sauf que nous, on en a assez d’être pris pour des neu-neus et les techniques à la Goebbels d’incendie du Reichstag, ça ne marche plus. Dorénavant, quand on nous lancera un sujet pour jouer avec nos émotions, il faudra s’attendre à ce que les CGQDI aillent au fond du problème et ne lâchent pas l’affaire jusqu’à obtenir des réponses satisfaisantes et étayées.
Le 31 juillet 2015, Ali Dawabsheh, un enfant de 18 mois du village de Douma, en Samarie, périt dans l’incendie de la maison familiale et son père Saad Dawabsheh, 32 ans, meurt 8 jours plus tard des suites des brûlures subies pendant l’incendie. La mort du bébé Dawabsheh, rapidement attribué par les services de sécurité palestiniens à des colons extrémistes juifs en raison de graffitis en hébreu laissés sur place, déclenche une foudre de réactions indignées, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat d’Israël, et une vague d’articles accusateurs envers la colonisation juive de la Judée et de la Samarie, que l’on appelle bien à tort « Cisjordanie ».
Comme dans le cas de l’incident de Nabi Saleh le 28 août, aucune retenue, aucune objectivité, aucune mise en contexte et surtout aucun respect du tempo de l’instruction judiciaire n’a été jugé judicieuse par les médias qui ont repris en boucle la notion de « brûlé vif » pour parler du trépas de l’enfant, suivi par la notion « d’extrémistes juifs » qui en seraient forcément les auteurs.
Et ayant soulevé cette indignation, sans la moindre preuve et sans attendre des éléments probants issus d’une enquête judiciaire, les médias ont rapidement tourné la page parce que d’autres scoops et infos juteuses en émotions les attendaient. Qu’à cause de leurs informations non prouvées et reposant sur des accusations non-fondées de services palestiniens envers des juifs, des antisémites dans le monde entier fourbissent déjà quelque attentat ou vengeance d’Ali Dawabsheh, peu leur chaut.
Nous, on en reste pas là et deux mois après cet événement dramatique, on ne veut pas tourner la page. Dans le droit français, la charge de la preuve est à l’accusateur. Vous accusez des extrémistes juifs? Fournissez vos preuves, étayées par une enquête sérieuse, et débouchant sur des accusations précises, nominatives, qui détaillent le rôle joué par chaque accusé s’il y en a plusieurs!
Que sait-on de l’enquête en cours et sur quoi à t’elle débouché? D’après plusieurs sources croisées de presse européenne, américaine et israélienne, plusieurs gardes à vue ont eu lieu pendant l’enquête mais celle-ci est toujours en cours et aucune inculpation n’a été prononcée. Les autorités israéliennes ont à plusieurs reprises appelé aux témoignages mais les habitants de Douma refusent en bloc de témoigner, sous prétexte de ne pas faire confiance aux Israéliens et l’enquête n’avance pas. Des suspects ont été appréhendés, dans les villages juifs alentours mais tous ont fini par être relâchés faute de preuves et la piste d’extrémistes juifs, si elle n’est pas encore écartée, n’est pas la seule suivie par les enquêteurs.
Entre temps, un nouvel incendie a eu lieu, le 26 août et visant la même famille Dawabsheh et c’est même l’association France Palestine Solidarité qui en parle et cite à plusieurs reprises Gassan Doghlous, le fonctionnaire de l’Autorité nationale palestinienne (ANP) qui supervise les activités des « colons » israéliens dans les régions du nord de la « Cisjordanie » (Judée-Samarie, quand on a un peu de bagage historique et qu’on ne se laisse pas dicter sa pensée par les questions politiques.) M. Doghlous, en parlant de l’incendie du 26 août, explique:
« L’incendie criminel était presque identique à celui dans lequel Ali Dawabsheh et son père sont morts, mais les assaillants n’ont peint de graffitis sur aucun des murs » […] Il est préférable de ne pas [encore] accuser officiellement les colons de l’attaque »
Rappelons que les graffitis en hébreu et arborant une étoile de David sont les seuls éléments qui pointent vers des criminels juifs. M. Doghlous est visiblement plus prudent pour l’attaque du 26 août qui n’a tué personne mais à fait 5 blessés, alors que celle, létale, du 31 juillet, avait vu surgir des accusations très rapides mais sans autres fondements que ces graffitis.
En ce qui concerne ces graffitis, un minimum de prudence aurait pu être appliqué. Il est criant d’évidence que dans le contexte tendu de la Judée-Samarie, il est très facile de brouiller les pistes d’une enquête et sans même parler des doutes graphologiques levés par certains, une élémentaire conscience historique aurait du rappeler à tous que le Reichstag a été incendié par un homme manipulé par les nazis qui souhaitaient récupérer politiquement l’incident, que l’attaque polonaise de la station radio de Gleiwitz le 31 août 1939 était une manipulation allemande, que le massacre des officiers polonais de Katyn par les Soviétiques a été fait de façon à faire accuser les Nazis ou encore que François Mitterrand a donné son aval à un faux attentat contre lui, avenue de l’Observatoire en 1959.
Mais l’affaire s’épaissit lorsqu’on apprend que la famille Dawabsheh a déjà été victime d’un incendie d’un appartement en février et d’un incendie de véhicule en juin de cette année. Une famille ou plutôt un clan dans sa vision orientale, dont est issu le maire du village de Douma, Abdel Salam Dawabsheh, victime d’autant d’incendies dont deux au moins ont été qualifiés de criminels par les autorités palestiniennes, ça lève des questions auxquelles il faut répondre et qui ne peuvent être réduites à l’hostilité d’extrémistes juifs pour leurs voisins arabes.
Comme on l’a dit, hélas, l’enquête piétine par manque de coopération des habitants de Douma et par échec des investigations sur les suspects juifs mais plusieurs sources de presse expliquent que lorsque les langues se délient dans le village, il est question de règlements de comptes entre clans rivaux et de vengeance contre des membres corrompus de la famille Dawabsheh. Mais cela reste des ouï-dire et des rumeurs. En l’état actuel de l’enquête, aucun élément probant ne permet d’inculper qui que ce soit, juif ou arabe.
L’affaire de l’incendie de Douma et de la mort du bébé et de son père, qui a provoqué une flambée de haine antisémite sur les réseaux sociaux est donc toujours non-élucidée et rien ne justifie, de façon prouvée et étayée, que des juifs, ou d’autres d’ailleurs, en soit coupables
Mais au niveau de la presse française, personne ou presque ne remet ces événements en contexte et, encore une fois, on en reste à l’accusation initiale envers les juifs. Pourtant, à ce stade de l’enquête, sans preuves, sur la base d’éléments peu fiables ou de sources non-objectives, continuer à accuser des juifs ou à les présenter comme suspects principaux n’est rien de moins que de l’antisémitisme assumé.
Affaire à suivre donc et nous, on va la suivre!
Pug