J’en ai fini avec Bonaparte, un coup de blues de Pug

J’ai toujours aimé la musique du guitariste écossais Mark Knopfler, rendu célèbre à la tête du groupe Dire Straits et qui poursuit depuis plusieurs années une tranquille mais talentueuse carrière solo. Ses dernières performances, comme la ballade rêveuse « Shangri-La » ou le savoureux duo de l’album « All the Road Running », avec la belle Emmylou Harris, sont somptueuses mais j’ai une faiblesse récurrente pour son premier album en solo « Golden Heart ».

La treizième piste de l’album « Golden Heart » est une chanson que je ne me lasse jamais d’écouter tant pour son rythme et sa mélodie que pour ses paroles qui me plongent à chaque fois dans un océan de songes et de réflexion. En plus, il y évoque l’Aquitaine, ma belle région de montagnes, d’Océan, de magrets de canard et de Cyrano de Bergerac.

J’y pense d’autant plus ces derniers jours, quand je vois qu’on est toujours aussi perméables à l’idée de l’homme providentiel que l’on s’apprête à adouber sans bien connaître ses idées ou sans prendre en compte son programme.

(Non, je ne m’en prends pas qu’aux soutiens d’Emmanuel Macron en parlant « d’homme providentiel ». Seulement, je n’aime pas ce langage qui consiste à préciser à chaque fois le masculin et le féminin pour ne pas se mettre les féministes à dos. Quand on dit que l’homme est apparu sur terre il y a X milliers d’années, on parle de l’espèce humaine et ce serait ridicule de préciser que la femme aussi est apparue au même moment de la même façon qu’il serait ridicule de parler de « l’homme et de la femme de Neandertal. Je trouve ridicule de faire la distinction systématique entre hommes et femmes et je préfère penser, même en termes de droits, que la femme est un homme de sexe féminin. Donc quand je parle de l’homme providentiel qu’on suit aveuglément, j’inclus Marine Le Pen.)

Je suis tristement perplexe quand j’entends les commentateurs que la dernière fois qu’un jeune homme brillant a fait un cavalier seul fulgurant qui l’a porté au pouvoir, c’était Napoléon Bonaparte. Et Napoléon aussi avait une femme plus âgée, même si Joséphine n’avait que 6 ans de plus. Encore une fois, les français succombent à une figure, à un charisme, à une personnalité et semblent prêts à lui faire une confiance aveugle, en oubliant le détail gênant du rôle de Macron dans le quinquennat Hollande comme ils ont pu négliger ce détail gênant que Bonaparte avait perdu et abandonné une armée en Egypte, ce qui aurait peut-être du les alarmer.

Et je ressens une amertume quand j’entends des gens autour de moi annoncer de façon péremptoire qu’ils vont voter Le Pen parce qu’ils en ont marre du « Directoire » vaniteux, inefficace et déconnecté de la réalité qu’est devenu la république française, sans se demander le moins du monde à quoi sera utilisé le chèque en blanc qu’ils veulent ainsi signer ni comment sera la France au bout de 15 ans. Parce qu’on a beau se glorifier de l’héritage de l’Empire napoléonien, son bilan est tout de même les Cosaques et les Prussiens à Paris et les Britanniques dans le Sud-Ouest de la France en 1814, 15 ans après le 18 Brumaire, avec une autre armée perdue et abandonnée, cette fois en Russie, suivie d’une Restauration de la monarchie qui a elle-même échoué au bout de 15 ans pour devenir une monarchie de juillet, centriste (Tiens, ça me rappelle quelqu’un, ni droite-ni gauche comme on dit aujourd’hui) qui échoue aussi au bout de 17 ans, pour devenir une seconde république, qui devient un second empire, qui devient une troisième république, etc.

Bref, je suis amer de voir qu’on en est toujours à s’envoyer à la figure chacun son « homme providentiel », qui ont tous, tout de même, un profil de mégalomanes qui se croient fabuleux et ayant réponse à tout, allant jusqu’à se créer un parti personnel qui n’existe pas sans eux. Sur les 11 candidats à la présidentielle de 2017, 5 (Macron, Mélenchon, Dupont-Aignan, Asselineau, Cheminade) se sont créés leur propre parti autour de leur magnificence, Le Pen a hérité dynastiquement du parti créé pour son père qu’elle a remodelé pour elle (Rassemblement Bleu Marine, on ne cherche même pas à masquer la mégalo en y mettant son prénom) et Lassalle s’est présenté tout seul en pensant n’avoir besoin de personne. Quand aux deux partis trotskistes dont les règles sont aussi transparentes que la Corée du Nord et où les règles de succession sont dignes du Soviet Suprême et son culte de la personnalité stalinien, ils ne valent guère mieux. Et si on rajoute la mégalo de se représenter à une élection après s’être fait ramasser parfois méchamment lors d’une élection précédente, ce qui concerne Le Pen, Mélenchon, Dupont-Aignan, Poutou, Arthaud et Cheminade qui se croient assez indispensables pour récidiver, on se dit que le rapport avec la politique en France à quelque chose de psychiatrique.

Personnellement, comme dit le refrain de cette jolie chanson, j’aurais foi dans le Seigneur pour me sauver parce que j’en ai fini avec Bonaparte, c’est à dire que j’en ai fini avec cette maladie française de « l’homme providentiel », ainsi qu’avec les Rois, Empereurs, Président du Conseil, Généraux, Maréchaux, Président de la République ou tout autre de forme de chef mégalomane qui fait perdre la tête aux Français et les mène, la fleur au fusil, à des Bérézinas militaires, économiques, politiques et humaines après leur avoir fait miroiter Austerlitz en mentant sur Arcole, en étant ridicule à Trafalgar et criminel à Madrid.

Pug

 

J’en ai fini avec Bonaparte

Par Mark Knopfler, traduit par Pug

 

On a payé en enfer depuis que Moscou a brûlé
Alors que les Cosaques nous déchirent pièce par pièce
Nos morts sont devenus cent ligues
Bien que la mort serait une douce délivrance
Et notre Grande Armée est habillé de haillons
Une bande de mendiants affamées et gelés
Comme des rats, nous volons nos restes entre nous
En en arrivant à nous battre aux mains

Sauve âme du mal, Seigneur
Et guéris mon cœur de soldat
J’aurais foi en toi pour me garder, Seigneur
J’en ai fini avec Bonaparte

Quels rêves il nous a fait rêver
Cieux Espagnols, Sables Egyptiens
Le monde était à nous et nous marchions
Aux orders de notre petit caporal
Et j’ai perdu un oeil à Austerlitz
Le coup de sabre me fait encore mal
Mon vrai amour unique m’attend pourtant
La fleur de l’Aquitaine

Sauve âme du mal, Seigneur
Et guéris mon cœur de soldat
J’aurais foi en toi pour me garder, Seigneur
J’en ai fini avec Bonaparte

Je prie pour elle, qui prie pour moi
Un retour sauf dans ma belle France
Nous prions que cette guerre arrêterait toutes les guerres
Dans la guerre, nous savons qu’il n’y a aucune romance
Et je prie que notre enfant ne voit jamais
Encore un petit caporal
Qui désigne des rivages lointains
Et captive le cœur des hommes

Sauve âme du mal, Seigneur
Et guéris mon cœur de soldat
J’aurais foi en toi pour me garder, Seigneur
J’en ai fini avec Bonaparte

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