La Turquie en Palestine
Le nouveau Sultan Ottoman, Recep Tayyip Erdogan, entend bien récupérer l’influence de la Sublime Porte sur le Moyen-Orient et, évidemment, centre ses efforts sur Jérusalem. C’est de bonne guerre. Médine et la Mecque étant aux mains des Saoudiens Wahhabites, Damas étant aux mains des Alaouites et contestée par l’Etat Islamique, et Kerbala étant aux mains des Chiites alliés à l’Iran, il est bien nécessaire pour ce nouveau candidat au Caliphat Islamique de revendiquer une suzeraineté morale sur l’un des lieux les plus symboliques du Moyen-Orient, Jérusalem et le Mont du Temple. De plus, Jérusalem est le seul lieu, commun aux trois grandes religions monothéistes, ou la suzeraineté musulmane peut être brandie comme une supériorité sur les Juifs et les Chrétiens.
Il est vrai que Médine, La Mecque, Damas et Kerbala, Juifs et Chrétiens s’en contrefoutent et il est un peu compliqué à beaucoup d’égards, pour Erdogan, d’aller revendiquer une suzeraineté sur Al-Andalus, l’Espagne. Reste donc Jérusalem et, en se présentant comme le protecteur de « Al-Quds », il se présente en champion de l’Islam face aux infidèles Juifs et Chrétiens, rappelant par la même occasion que c’est sous domination Turque que Jérusalem est resté musulmane le plus longtemps.
Sauf que non, en fait. Buffalo l’a montré dans les recensements effectués au XIXème et début XXème siècle, Jérusalem est depuis longtemps juive. Si l’on adjoint aux Juifs les Chrétiens, ce qui serait théologiquement logique si les Chrétiens n’avaient pas coupé leurs racines juives vitales, les adorateurs du Dieu d’Israël qui se réfèrent au Tanakh comme livre saint, sont largement majoritaires depuis déjà longtemps.
S’ils voulaient mettre fin à la « judaïsation » de Jérusalem, il fallait commencer lorsque les Ottomans dominaient la région. Et pour ceux qui se demandent comment la Palestine était gérée sous l’époque Ottomane, après plusieurs siècles de domination turque, je propose la lecture du petit document suivant:
Mais allons plus lion encore, M. Erdogan dit que « que la Turquie musulmane avait une « responsabilité historique » et accordait une « énorme attention à Jérusalem et à la lutte des Palestiniens pour la justice », renforçant ses efforts pour en faire une ville de « sécurité, d’indépendance et de paix, à nouveau« .
Énorme attention à Jérusalem. Mais bien sûr… Je vous invite à aller sur le site de la Bibliothèque Nationale de France et, dans la barre de recherche, sélectionner les images, puis taper « Joseph Philibert Girault de Prangey ». On tombe sur des dizaines de daguerréotypes datant des années 1840, sous l’époque Ottomane. Les photos de Jérusalem, comme-ci contre la Porte des Lions et son tas de détritus à gauche de l’entrée, sont éloquentes sur « l’énorme attention » portées par les Turcs à Jérusalem lorsqu’ils en étaient les maîtres incontestés.
Lisons aussi, par exemple, cet extrait de « Jérusalem et la Judée, description de la Palestine ou Terre-Sainte » par E. Garnier en 1843, page 125: « Les Turcs interdisent aux chrétiens l’accès de cette mosquée [d’Omar, dans le contexte]: il ne s’agit rien de moins que de la mort ou de l’apostasie [en fait, conversion forcée à l’Islam] pour ceux qui transgresserait cet ordre; il faut donc se contenter de l’aspect extérieur de ce monument, et encore le visiteur doit éviter d’être vu par les soupçonneux musulmans. »
Autant pour « la sécurité, l’indépendance et la paix » chères à Erdogan…
Revenons à Anatole Robin, page 8 et 9: « Les propriétaires du pays expliquent eux-mêmes la tristesse de la situation à laquelle il s’agit de porter remède. Ils ont, tout ensemble, une grande richesse et une désolante misère. Chacun travaille juste assez pour faire produire au sol sa nourriture. Si la terre lui en donne davantage, il laisse le supplément de récolte périr sur pied. Qu’en ferait-il? Il n’existe ni chemin ni moyen de transport; il ne peut ni donner ce qu’il a, ni recevoir ce qu’il n’a pas. »
Traduction en clair: le pays, qui a pourtant un gros potentiel, est à l’abandon parce que les « propriétaires du pays », donc les Ottomans, ne s’en occupent pas et ne développent aucune infrastructure. Tiens, puisqu’on parle d’infrastructure, lisons page 8: « Les anciennes routes des Hébreux, les voies romaines enfouies sous l’humus ou sous le sable, se retrouvent aisément, et peu endommagés. Celle de Jérusalem à Jéricho demanderait, entre autres, très peu de réparations. »
Le développement arabo-turc de la Palestine, si chère à leurs yeux, entre 638, date de la conquête de Jérusalem et ce rapport d’Anatole Robin, 1250 ans plus tard: l’infrastructure de l’antiquité est intacte, a juste été oubliée et il n’y en a pas d’autre. On pourrait fouiller tous les récits de voyageurs et notamment ceux de l’American Colony ou des implantations européennes au XIXème siècle, le constat est toujours le même: Jérusalem est une ville insalubre, ravagée d’épidémies, sans économie et peuplée de pauvres dans une Palestine désertique ou rien ne pousse et ou personne ne vient développer quoique ce soit.
Quand on compare aux merveilles d’art islamique développées en Espagne en 700 ans, on se demande bien en quoi la Palestine et Jérusalem sont si précieux aux musulmans puisqu’ils les ont laissées dépérir.
Alors Erdogan revient ramener l’influence turque aussi désastreuse dans une terre qui ne s’est jamais aussi bien portée depuis que les Turcs sont partis et qu’elle est peuplée par des Juifs qui l’aiment à en crever et qui lui transmettent leur volonté de vivre et d’y être heureux. A ce niveau d’aveuglement, j’hésite à le qualifier d’idiot ou de négationniste. Mais justement lisons-le encore:
« Il est impossible de trouver une solution et la paix dans la région sans trouver d’abord une solution juste à la cause palestinienne »
M. Erdogan, permettez-moi d’appliquer à votre argumentaire la rhétorique que vous utilisez pour nier les génocides arménien et assyro-chaldéen:
Quelle solution? A quel problème? Et de quelle cause palestinienne parlez-vous?
Puisque vous niez l’existence de plus de 2 000 000 de morts arméniens et assyriens exterminés par les Turcs alors que toutes les preuves existent et en disant que c’est un mensonge occidental contre la Turquie, nous ne reconnaissons aucune légitimité à une cause palestinienne pour laquelle aucune preuve d’Apartheid n’existe et pour laquelle les chiffres de la prétendue « Nakba » sont parfaitement contestables, en disant que c’est un mensonge musulman contre Israël.
Et comme vous le dites pour le génocide par les Turcs, apportez la preuve que les Israéliens sont responsables.
Tenez, par exemple. « L’exode arabe des autres villages n’a pas été causé par les combats mais par la description exagérée répandue par les chefs Arabes pour encourager les autres nations arabes à combattre les Juifs » a dit Yunes Ahmed Assad, un survivant du massacre de Deir Yassin en 1948
Ou citons encore le quotidien jordanien Falastin dans son édition du 19 Février 1949: « Les Etats Arabes, qui avaient encouragé les Arabes palestiniens à quitter temporairement leurs demeures pour être hors du chemin de l’invasion des armées arabes, ont failli à leur promesse d’aider ces réfugiés. »
Quant à cette dernière diatribe de votre part, M. Erdogan: « aucun pays ne devrait avoir le droit d’agir au-dessus des lois », elle est particulièrement savoureuse de la part de quelqu’un qui a à ce point agi au-dessus des lois de son propre pays pour son pouvoir personnel et dont il défend l’action « au-dessus des lois » à Chypre.
Pug
Tout est dit. Franchement , Pug, vous ne laissez guere de place a des commentaires !
excellent, comme d’habitude…