Auschwitz, 27 Janvier 1945
Le 18 janvier 1945, la 60ème armée soviétique, appartenant au 1er Front Ukrainien commandé par le Maréchal Ivan Koniev libère Cracovie, l’ancienne capitale de la Pologne. Si les soldats de l’Armée Rouge croient pouvoir se reposer un peu, ils entendent déjà des rumeurs étranges sur un immense camp de la mort à 60km de là. Les hautes sphères de l’Armée Rouge et du NKVD savent déjà de quoi il retourne, les services de renseignement connaissent l’existence de ce camp qui, en soi, ne constitue pas un objectif militaire et n’a aucune importance stratégique.
Mais il n’est pas possible de l’ignorer, d’autant que les rapports, confirmés par les polonais de Cracovie, indiquent qu’une très forte garnison de SS a ses quartiers entre Cracovie et Oświęcim, une région vidée de ses habitants pour loger les SS. Le 25 Janvier, La 332ème Division de Fusiliers reçoit l’ordre de progresser dans cette direction. Entre les conditions météo difficiles et le terrain ravagé par les obus et les bombes, chaque soldat avec un sac à dos suffisamment fourni pour tenir quelques jours de combat sans ravitaillement, c’est à pied que les fusiliers à l’étoile rouge progressent sur les 60 km jusqu’à atteindre la ville d’Oświęcim qui, pendant les 4 années d’occupation allemande, portait un nom germanisé : Auschwitz.
En tête de colonne, le long de la rivière Wisla, le 472ème Régiment d’Infanterie est rapidement au contact de troupes allemandes, essentiellement des SS dont certains protègent la fuite de leurs familles devant l’avance russe. En suivant la rivière, les Soviétiques harcèlent les Allemands dans un blizzard terrible qui rend les combats encore plus difficiles mais ils progressent et derrière eux, la 332ème Division.
Le 27 janvier, après avoir perdu 230 hommes dont le Colonel Siemen Lvovich Besprozvanny, chef de corps du 472ème Régiment, les Soviétiques entrent dans un immense camp à l’ouest d’Auschwitz, près du village de Brzezinka, appelé en allemand Birkenau.
En investissant ce camp, les Soviétiques viennent de faire sans doute l’une des plus terribles découvertes du 20ème siècle. Ils viennent de s’emparer du plus meurtrier camp d’extermination du système industriel nazi permettant la mise en oeuvre de la solution finale à la question juive, composé de 3 entités :
- Le camp de concentration d’Auschwitz , dit Auschwitz I qui reçoit le 14 Juin 1940 un premier contingent de 728 prisonniers partis de Tarnów. 708 polonais non juifs et 20 juifs, des prisonniers politiques, socialistes, communistes et autres opposants jugés dangereux ou « Untermensch » par le régime nazi C’est là, qu’en septembre 1941, les SS essaient un puissant pesticide particulièrement toxique, le Zyklon B, sur des prisonniers de guerre soviétiques, dans le Block 11, réservé aux mises à mort. Auschwitz I verra mourir davantage de non-juifs que de juifs.
- Le camp d’extermination Auschwitz- Birkenau, dit Auschwitz II, ouvert en 1942 sur une surface de 170 hectares comprenant le centre de mise à mort et de crémation et un camp de travail forcé. C’est à Birkenau que la quasi-totalité des victimes juives seront assassinées. Il y aura 8 sites distincts de mise à mort et 4 fours crématoires, permettant aux Nazis d’assassiner 12 000 personnes en une journée mais ce rythme était, de l’aveu de l’infâme commandant du camp, Rudolf Höss, très éprouvant pour le personnel et les fours ne pouvait traiter que 4500 corps par période de 24 h.
- Le camp industriel du fabricant de caoutchouc IG Farben, dit Auschwitz III, près du village de Monowskie, appelé en allemand Monowitz. 12 000 déportés y travaillaient en permanence, jusqu’à la mort par exaction ou épuisement ou renvoi vers Birkenau pour inaptitude et ce sont 30 000 déportés qui y perdirent la vie. L’usine fut bombardée à 4 reprises, dans le cadre de la stratégie alliée d’attrition industrielle.
Lorsqu’ils arrivent, les Soviétiques découvrent 7000 prisonniers malades ou mourants, tous ceux qui ne pouvaient plus marcher. Quelques jours auparavant, les SS avaient contraint 60 000 prisonniers d’Auschwitz à partir à pied vers l’ouest dans une « marche de la mort » qui tuera 15 000 de ces prisonniers, dont les Soviétiques découvriront beaucoup de corps congelés dans la neige sur les quelques kilomètres séparant Birkenau d’Auschwitz I. Mais les soldats qui fouillent le camp, découvrant horreur après horreur, dont un charnier à ciel ouvert d’au moins 700 corps, ne se doutent pas encore de l’ampleur de ce qu’ils découvrent. Durant les 4 années de fonctionnement du camp, un minimum de 1 100 000 personnes, dont environ 960 000 Juifs, ont été assassinées à Auschwitz par un système très perfectionné d’acheminement, sélection et répartition avant préparation pour la mise à mort par gazage, suivi de l’élimination des cadavres par crémation. Les soviétiques découvrent les restes des fours crématoires, dynamités par les SS quelques heures avant leur arrivée, sans se douter une seconde de leur utilisation. A Auschwitz I, ils découvriront également des victimes des expérimentations médicales atroces perpétrées par Josef Mengele et les médecins et biologistes nazis.
Les soldats soviétiques, très jeunes pour la plupart, sont effroyablement marqués par ce qu’ils découvrent et eux-mêmes aggravent la situation. Croyant bien faire, nombre d’entre eux partagent leurs rations avec les déportés dont l’organisme ne supporte plus une alimentation aussi riche (et on parle de rations de l’armée rouge…) et beaucoup en meurent. Mais déjà, les déportés racontent l’horreur devant des soldats médusés qui ne parviendraient pas à y croire s’ils n’avaient pas sous les yeux les résultats de ce qu’on n’appelle pas encore la Shoah.
Plus tard, ce sont les Nazis et les SS eux-mêmes qui témoigneront, parfois avec fierté, de leur travail à Auschwitz. Le procès de Nuremberg, ou le Commandant SS Rudolf Höss sera très volubile, expliquera comment le RHSA, l’Office de Sécurité du Reich, un service de la SS, étudiera la mise à mort de façon très gestionnaire et industrielle, cherchant perpétuellement à améliorer la productivité. Le choix et la généralisation du gaz Zyklon B et la détermination de son dosage sera le fruit d’un intense travail d’analyse, d’observation et d’essai, après les tentatives d’utilisation du Monoxyde de Carbone. Pour gazer le maximum de personnes en un temps donné, il faut un gaz qui tue très rapidement, dès le premier contact. Mais il faut aussi qu’il soit non-persistant de façon à être évacué rapidement par la ventilation et à permettre au personnel de vider la chambre à gaz. Des ingénieurs, chimistes, médecins, etc, ont travaillé d’arrache-pied pour arriver à la solution optimale, testée sous l’oeil attentif d’inspecteurs en contrôle de qualité et de gestion envoyant leurs rapports à Berlin. La gestion des cadavres sera aussi étudiée et traitée de manière administrative et technique, d’abord par les fosses communes standardisées et ensuite, face aux problèmes sanitaires causés par une putréfaction à si grande échelle, ainsi que par la nécessité d’effacer les preuves, l’incinération dans des fours à haute température, spécialement conçus pour ne pas avoir à broyer les os séparément, comme avec l’utilisation de bûchers de plein air.
Mais Auschwitz, les soldats l’apprendront aussi, est loin d’être le seul. Chelmno, Treblinka, Majdanek, Sobibor et Belzec sont autant de terminaux, au sens industriel du terme, de la cinquantaine de camps de concentration et de transit, sans compter les centaines d’annexes et de sous-camps et les milliers d’usines, de fermes, d’ateliers, etc, répartis entre la France (Struthof), l’Allemagne, la Norvège, la Belgique, la Tchécoslovaquie et la Pologne qui participeront à la Solution Finale. Des études récentes parlent du chiffre astronomique de 42 000 sites ayant œuvré au système concentrationnaire et exterminateur Nazi. Si peu, en Allemagne, en dehors de la SS et des autorités du Reich, connaissaient l’ampleur du phénomène, une partie importante de la population a été complice ou au moins témoin de ce qui se passait. L’Allemagne savait et de nombreuses populations occupées ou complices également.
En comptant les exécutions par balle massives des Einsatzgruppen et autres forces nazies ou allemandes en URSS, cette industrie de mise à mort d’une qualité technique et logistique aussi brillante qu’épouvantable, la solution finale à la question juive, aura tué près de 6 000 000 de juifs sur les 9 000 000 que comptait l’Europe, 2 000 000 de Tziganes et autour d’un million de prisonniers politiques et d’opinion, d’homosexuels et même de noirs.
70 ans après, la population juive mondiale, estimée à 13 millions, n’a toujours pas retrouvé son niveau estimé en 1933 à 15 millions.
Ce jour-là, 27 Janvier 1945, les soldats soviétiques, comme le feront les soldats américains, britanniques et canadiens ailleurs en Europe, touchent du doigt le Mal absolu et en feront des cauchemars tout le restant de leur vie. Certains diront avoir eu le sentiment d’avoir regardé Satan, le Diable, dans les yeux. Et le Diable voulait exterminer le peuple Juif…
Pug – 27 janvier 2015
Remerciements à l’auteur du site « Shabbat Goy – Traces Juives en Pologne » pour ses corrections et précisions expertes.
Photographies avec l’aimable autorisation de Manon Tourreilles. Tous droits réservés.