Netanyahu et le Mufti

haaretzOh qu’ils sont contents ! Je les imagine trépignants d’une indignation qui masque à peine leur jubilation ! Tous ceux qui essaient depuis si longtemps de faire qualifier le gouvernement Netanyahu « d’extrême-droite » tiennent enfin leur « preuve », leur « argument indiscutable ! ». Netanyahu est un négationniste ! Tellement aveuglé par sa haine des Palestiniens, Benjamin Netanyahu dévoile son « vrai visage » en dédouanant Hitler de la responsabilité de la Shoah et en accusant Hadj Amin Al Husseini, le Grand Mufti de Jérusalem. Haaretz titre fièrement : « Netanyahu : Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs »

Qu’a dit Netanyahu ? Dans un discours devant le 37ème Congrès Sioniste Mondial à Jérusalem, il a expliqué que plusieurs attaques contre la communauté juive, dont celles de 1920, 1921 et 1929 (massacre de Hébron, ncgqdi) ont été menés à l’appel du Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amin Al Husseini qui sera ensuite recherché pour crimes de guerre dans le Procès de Nuremberg pour avoir joué un rôle central dans la fomentation de la solution finale.

Großmufti Amin al Husseini, Heinrich HimmlerC’est là que Netanyahu prononce la phrase qui va lui être reprochée toute sa vie parce que tronquée et sortie de son contexte. Il dit « Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs à l’époque, il voulait les expulser ! » Ensuite, il résume de façon très succincte et limite caricaturale une conversation entre le Grand Mufti et Hitler en disant que le Mufti serait allé voir Hitler et lui aurait dit que s’il expulsait les Juifs, ils viendraient tous ici (en Palestine, ncgqdi). Hitler lui aurait répondu « Que dois-je donc en faire ? » et le Mufti aurait répondu « Brûlez-les ». Il conclue cette conversation en expliquant que c’est le même homme, Hadj Amin Al Husseini, qui dès les années 20, fomentait des troubles en prétextant que les Juifs allaient détruire la Mosquée Al Aqsa et que ce mensonge (qui est agité aujourd’hui par Abbas) était donc vieux d’un siècle.

Et voilà comment toute la presse mondiale et tous les opposants à Netanyahu tirent la phrase qu’ils vont utiliser pendant des décennies pour nuire à Netanyahu : « Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs. »

Sauf que ce n’est pas ce qu’il a dit et que sa phrase a été coupée au moment qui arrange ses opposants. Il a dit « Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs, à l’époque« . Donc c’est justement cette époque qui nous intéresse.

Dans son article sur ce discours, Haaretz explique que Netanyahu situe cette conversation entre Hitler et le Mufti dans le contexte du mois de novembre 1941. J’invite chacun à lire la page sur la Conférence de Wannsee de Janvier 1942 sur le site de l’United States Holocaust Memorial Museum. On y lit que, bien que les meurtres de Juifs étaient déjà bien engagés, la décision finale d’une extermination a été prise dans le courant de l’année 1941, avec comme dates plus précises, la mention de Septembre 1941 où Hitler autorise la déportation des Juifs allemands, autrichiens et tchèques en Pologne et celle de l’Automne 1941 pour le déploiement en Lettonie de l’Einzatzcommando 2 du Major Lange. Dans d’autres sources, on peut lire que les Einzatzgruppen commencent leur action en Juillet 1941 en Lituanie et que le massacre du ravin de Babi Yar, en Ukraine a lieu en Septembre 1941.

On constate plusieurs choses :

  • Dans les faits, les meurtres de masse de Juifs ont commencé avant la conférence de Wannsee qui est pourtant considérée comme la conférence fondatrice de la « solution finale à la question juive dans la sphère d’influence », selon l’expression employée lors de la conférence. Ces meurtres de masse ne sont pas encore une volonté exterminatrice écrite en tant que politique du Reich. Ils sont un nettoyage ethnique de « l’espace vital » allemand à l’Est, tel que théorisé par Hitler dans Mein Kampf. Il est important de préciser qu’on est déjà, avec ce nettoyage ethnique, dans la notion de crime contre l’humanité. L’extermination, entérinée à Wannsee, est une aggravation et une radicalisation du crime contre l’humanité déjà existant, pas une nouveauté.
  • Cette aggravation est effectivement décidée en 1941, vraisemblablement au cours du second semestre et probablement à l’automne, entre Septembre et Décembre 1941, la conférence de Wannsee étant la réunion d’organisation administrative de cette aggravation.

Donc, en remettant les choses dans une perspective plus historique et moins politicienne, on peut dire que Netanyahu n’a pas fait de révisionnisme, bien au contraire.

A-t-il pour autant raison de sous-entendre que le Mufti a eu une influence importante sur cette aggravation ? Haaretz, en fin d’article explique que cette thèse a récemment été portée par deux auteurs, Barry Rubin et Wolfgang Schwanitz, dans un livre intitulé « Nazis, Islamists, and the Making of the Modern Middle East », publié aux Editions Universitaires de Yale (qui n’est pas la plus médiocre université au monde). Si les auteurs n’évoquent pas spécifiquement la rencontre et les mots utilisés par Netanyahu, ils soutiennent cependant que la décision d’extermination a été prise par Hitler en partie pour satisfaire le Mufti qui refusait la déportation des Juifs en Palestine.

MuftiEn réaction à la polémique, Netanyahu a expliqué qu’il n’avait aucune intention de minimiser le rôle d’Hitler qui a pris la décision d’assassiner 6 millions de juifs mais qu’il était également absurde de minimiser le rôle du Grand Mufti qui encourageait Hitler, Ribbentrop et Himmler à exterminer les Juifs d’Europe, citant le témoignage de l’adjoint d’Adolf Eichmann au Procès de Nuremberg qui qualifiait le Mufti de « partenaire » et de « conseiller » d’Hitler et d’Eichmann dans la solution finale.

Il eut été bon également de préciser que satisfaire les exigences des Nationalistes arabes, représentés par le Mufti, était capital pour Hitler en novembre 1941, dans son contexte stratégique. Il ne s’agit pas simplement d’une influence morale du Mufti ou d’une volonté de lui plaire mais bien une volonté de sécuriser des positions stratégiques dans une guerre qui commençait à mal tourner pour le 3ème Reich.

Rappelons que l’Afrika Korps est présent en Libye depuis Février 1941 et qu’en Novembre 1941, il obtient une victoire cruciale contre les Britanniques à Tobrouk, ce qui ouvre à l’Allemagne les portes de l’Egypte britannique. La stratégie allemande au Moyen-Orient est claire : isoler la Grande-Bretagne de ses sources d’approvisionnement en capturant le Canal de Suez et en capturant les zones pétrolifères du Golfe Persique. L’Allemagne fomente également en 1941 un soulèvement nationaliste de l’Irak pour gêner les approvisionnements pétroliers britanniques. A cette époque, le Royaume-Uni est très isolé. Harcelé dans les airs par la Luftwaffe, assiégé par la Kriegsmarine et les U-Boots, il a perdu l’ensemble de ses alliés, à commencer par la France en 1940 et il ne parvient pas à convaincre les USA d’entrer formellement en guerre. Il faudra attendre Pearl Harbor en décembre 1941 pour que les USA entrent définitivement dans le conflit.

Messerschmitt Bf 109 E-2

Messerschmitt Bf 109 E-2 « Emil » de la Jagdgeschwader 27 en Libye, en 1941, l’une des plus célèbres photos de l’Afrikakorps.

La fin de l’année 1941 est donc cruciale pour l’Allemagne. Elle vient d’entamer une invasion de l’URSS qui a échoué puisque l’Armée Rouge a réussi à faire durer sa résistance, au prix de pertes inimaginables, jusqu’au terrible hiver russe qui lui donne un répit. Ce semi-échec allemand fait perdurer une situation qu’Hitler redoute par-dessus tout : la guerre sur plusieurs fronts. Il n’a pas réussi à abattre le Royaume-Uni à l’été 1940 et il n’a pas réussi à abattre l’URSS à l’été 1941. Il sait que la riposte soviétique sera difficile, il sait qu’il doit y concentrer un maximum de forces et il est donc pressé d’en finir avec les Britanniques. Un soulèvement général des Arabes contre les Britanniques en Egypte, Palestine et Mésopotamie est capital pour priver ces derniers de leurs ressources pétrolières et de leurs voies d’approvisionnement par la Méditerranée et ainsi, les contraindre à rechercher la paix avant que les Américains ne s’engagent formellement contre l’Axe Tokyo-Berlin-Rome.

Dans ce contexte, il semble évident qu’Hitler a un besoin impératif de s’attirer les bonnes grâces du Grand Mufti de Jérusalem qui a des intentions compatibles avec les siennes. Sans accuser l’un et excuser l’autre, il semble évident que leurs opinions, leurs options stratégiques et leurs choix politiques respectifs les ont conduit à se radicaliser mutuellement dans le traitement de la question juive.

On peut donc en effet reprocher à Netanyahu une simplification à outrance et même, si cette conversation n’a pas eu lieu, une forme de malhonnêteté politicienne qui invente une histoire simple pour résumer un contexte général complexe mais on ne peut pas simplement balayer ses propos comme des distorsions coupables de l’histoire ou comme du révisionnisme à la sauce de Faurrisson.

La solution nazie finale à la question juive, que l’on appelle Shoah, Holocauste ou génocide des Juifs d’Europe est quelque chose de beaucoup plus complexe qu’on ne le pense et c’est un sujet qui, surtout lorsqu’on aborde les responsabilités morales ou opérationnelles, ne souffre pas d’approximations, de simplifications ou de caricatures. C’est donc le seul reproche que je ferais à Benjamin Netanyahu.

Pug

 

5 commentaires

  • Je pense pour ma part que, Mufti ou pas Mufti, Hitler avait de toutes façons dès le départ l’intention d’exterminer tous les Juifs. Il suffit de lire quelques extraits Mein Kampf, et de voir comment, dès son arrivée au pouvoir, les camps de concentration pour prisonniers politiques se construisaient. Si dès le départ il prévoyait de parquer ses opposants allemands (et pas simplement de les parquer, mais aussi de bien les torturer et maltraiter physiquement et psychologiquement jusqu’à ce que mort s’en suive), à combien plus forte raison Hitler n’allait-il pas faire la même chose (si ce n’est pire) pour les Juifs qu’il haïssait plus que tout et considérait comme la plus inférieure des races ! Le reste n’était qu’une question de temps et d’organisation, mais l’intention était bien là dès le départ.
    Donc dire « à l’époque, Hitler NE VOULAIT PAS exterminer les Juifs, SEULEMENT les expulser » est archi-faux quoiqu’il arrive. Netanyahou a fait une ici une grosse erreur, qui risque de lui être lourde de conséquences…

    • Pug

      Ce n’est pas ce qu’a dit Netanyahu. Il a dit « He didn’t want to exterminate the Jews, at the time. He wanted to expell the Jews. » Il n’a pas dit qu’il voulait « seulement » les expulser. Il a surtout fait l’erreur de vouloir simplifier quelque chose de complexe.

      • OK, il n’a pas dit qu’il voulait « seulement » les expulser. Mais dire qu’Hitler à l’époque ne voulait pas exterminer les Juifs, même si on admet qu’il avait l’intention de faire autre chose comme les expulser, n’en demeure pas moins faux.
        L’erreur est bien là, dans le NE VOULAIT PAS (et le reste de mon commentaire était dédié à la contradiction de ces mots et seulement de ceux-là). J’avais mis aussi le SEULEMENT en gros car, croyant que Netanyahu l’avait dit, cela me semblait être une grosse aberration qui venait accentuer l’erreur déjà faite dans la première partie de la phrase.
        Merci pour la rectification 😉

  • Ce qui est navrant dans toute cette affaire, c’est que personne (je parle des merdias fr et autres hommes politiques) n’a été choqué quand abbas a dit que les Juifs « polluaient » le Mont du Temple avec « leur pieds sales » (ou quelque chose dans ce goût la, je n’ai plus l’injure exacte).
    Mais bon ça ne m’étonne pas, le gouvernement français de l’époque a protégé le « grand nazi de Jérusalem » (NB: je vous emprunte ce qualificatif que je trouve excellent) alors ils essayent de caché les pots cassés maintenant…

  • Les arabes de Palestine sous la bannière nazie.

    La collaboration entre nazis et nationalistes palestiniens 1933-1946

    Une enquête de Sacha Bergheim

    https://contrecourant1.wordpress.com/2010/07/12/les-arabes-de-palestine-sous-la-banniere-nazie-1933-1946/

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