Immigration musulmane en Palestine
Le « peuple palestinien » est-il donc le descendant d’un peuple homogène, aux origines et traditions communes qui vit là depuis plus d’un millénaire et qui est exproprié et spolié par des Juifs immigrés et colonisateurs ? Comme toujours, la réalité historique est un poil plus complexe. Précis d’histoire des flux migratoires en Palestine, avec en bleu, à titre de repère et comparaison, les flux juifs.
1) 1250-1515
Après Saladin, aux XIIIe siècle et XVIe siècle, les Mamelouks égyptiens, créés en 1230, prennent en 1250 le pouvoir en Égypte et contrôlent la Palestine.
Durant cette période, la Palestine accueille des réfugiés arabes chassés par l’avancée des Mongols sur l’Irak et la Syrie.
2) 1516-1800
En 1516, le sultan turc Selim Ier de Constantinople conquiert la Palestine qui va devenir durant 4 siècles, jusqu’en 1917, une des provinces arabes de l’Empire ottoman, un an avant l’Égypte.
Les Ottomans autorisent les juifs à se réinstaller en Palestine, fuyant les persécutions d’Europe, notamment d’Espagne, Sardaigne, Sicile, royaume de Naples, qui s’installent en Galilée, et vont être à l’origine du rayonnement intellectuel et religieux de la ville de Safed.
Ce retour amène un bon développement économique, au contraire de l’Égypte. Les cités et lieux de cultes sont rénovés, faisant venir une main d’œuvre arabo-musulmane de l’extérieur.
Des fellahs d’Egypte et du Soudan, fuyant les révoltes Mamelouks contre les trucs, sont venus fonder des hameaux autour de Jaffa (comme le village de Cheikh Younis).
A partir de 1700, La région subit une forte dépression économique.
3) 1800-1860
Dans les années 1800-1860, sous autorité ottomane, la population de Palestine comptait environ 200 000 personnes. 34 000 étaient Juifs et environ 55 000 étaient chrétiens.
Ainsi, environ 110 000 musulmans vivaient en Palestine dont 65 000 étaient des nomades bédouins et 45 000 sédentaires originaires d’Egypte, de Syrie et de Turquie.
En fait, la communauté arabophone de Palestine était donc composée en majorité de Bédouins nomades et d’une minorité de musulmans sédentaires, guère plus nombreux que les juifs et moins nombreux que les chrétiens.
L’année 1840 voit l’arrivée massive d’Arabes de Transjordanie qui fait passer la population musulmane sédentaire (hors Bédouins) de 45 000 à 70 000.
Il s’agit des clans des Amir et du Cheikh Abd al-Rahman qui s’installent à Hébron.
Dans le même temps les minorités chrétiennes et juives s’étendent également.
4) 1860-1883
En 1860, la population de Jérusalem compte 18 000 personnes dont 8 000 juifs, 6 000 musulmans et 4 000 chrétiens.
L’année 1866 marque la naissance des premières colonies juives hors cités en zone rurale.
A la même époque, près de 13 000 Algériens accompagnant l’Emir Abd-el Qader, qui refusent de vivre sous domination française, se réfugient dans l’Empire Ottoman, précisément en Syrie et en Palestine et forment alors la majorité de la population arabe de Safed.
Ces réfugiés seront suivis par environ 5 000 Marocains à qui l’on doit le quartier Moghrabi à Jérusalem.
L’émigration des Algériens et Marocains musulmans, de 1830 à 1880 vers l’empire ottoman, trouve ses racines, d’abord dans la fierté des tribus vaincues et ensuite dans la loi islamique qui prescrit pour les croyants, sous peine de tomber dans la géhenne, de refuser de demeurer sous la domination d’infidèles, la terre d’Allah (Dar Al-Islam) étant assez vaste pour immigrer.
Les années 1869-1873 voient le territoire de Palestine rattaché directement aux autorités de Constantinople. Auparavant, la Judée et la Samarie relevaient de l’administration de Damas, et la Galilée relevait de Beyrouth. A la même période, la construction de la première route carrossable entre Jaffa et Jérusalem attire des chômeurs de Damas, d’Alep ou du Hauran en provenance du Hauran en Syrie, ainsi qu’une nouvelle communauté de fonctionnaires turcs.
D’un autre côté, sous l’impact de l’immigration des minorités musulmanes en provenance des Balkans et du Caucase, la population musulmane de Turquie s’est accrue de pas moins de 40%, et le pouvoir ottoman ne peut laisser autant de nouvelle population non-turque sur sa terre mère. C’est ainsi que des milliers de Bosniaques, albanais, caucasiens (Circassiens, Adyguéens, Abou-Ghosh) et de Turcomans, débarquent et s’installent en Palestine. La tribu caucasienne des Abou-Ghosh sera installée prés de Jérusalem et en contrôlera l’accès.
La guerre Russo-Ottomane de 1877-1879 et la campagne militaire russe dans les Balkans entraîne un exode massif des musulmans de Roumanie, de Bulgarie et de Bosnie vers la Turquie. Ce sont environ 380 000 réfugiés qui affluent dans la capitale turque. Cette vague de migration est suivie dans les années 1882-1883 par une nouvelle vague venant du Caucase, suite à l’annexion par les Russes des provinces de Kars et d’Ardahan. L’Etat Ottoman met donc en place une politique d’accueil et d’implantation de ces migrants musulmans au sein de tout l’empire, y compris en Palestine.
En 1878, l’empire ottoman cède Chypre à la couronne britannique, ce qui entraîne une immigration de chypriotes musulmans, directement installés par le pouvoir turc, en Palestine.
De 1840 à 1883, la population musulmane sédentaire (hors Bédouins), en plus de la progression naturelle des naissances passe de 70 000 à 120 000 grâce à ces immigrations.
En 1881 a lieu la première vague d’immigration des Juifs venus de Russie, de Roumanie, et du Yémen. Eliézer Ben Yehoudah, le père de l’hébreu moderne, arrive à Jaffa en septembre 1881.
5) 1885-1907
En 1890 a lieu le début de la deuxième vague d’immigration juive en provenance de Russie et en 1899, Création de la Banque coloniale juive, chargée de générer le financement des activités pour l’achat de terres en Palestine.
6) 1908-1913
En 1908, l’annexion de la Bosnie par l’Autriche-Hongrie et la proclamation de son indépendance par la Bulgarie provoque une nouvelle vague d’immigration musulmane vers l’empire ottoman.
Dans la continuité de sa politique d’accueil et d’implantation des réfugiés musulmans au sein de l’empire, l’état ottoman en dirige donc une partie vers la Palestine.
Ces vagues de 1878-1879, de 1882-1883 et de 1908-1909 amènent vers l’Empire Ottoman environ 2 500 000 migrants musulmans d’Europe.
1909, Fondation d’un petit bourg juif à proximité de Jaffa qui deviendra la ville nouvelle de Tel Aviv et création du premier kibboutz.
En 1910, à Jérusalem sur une population totale de 73 700 personnes, 47 400 sont juifs, 9 800 musulmans, 16 500 chrétiens.
En 1911, 5 000 citadins musulmans algériens de la ville de Tlemcen et 3 000 marocains musulmans quittent l’Afrique du nord et sont d’abord installés en Syrie par le pouvoir ottoman avant d’être dirigés, en 1913, vers la Palestine.
7) 1914-1916
A cause du début de la première guerre mondiale, durant ces deux ans, un flux tendu de réfugiés musulmans pro-ottoman fuyant les zones de combat entre turcs et occidentaux, va passer par la Palestine et quelques centaines de familles s’y installeront.
8) 1917-1920 (Occupation britannique)
Une révolte arabe est menée entre 1916 et 1918 par Hussein ben Ali, chérif de La Mecque, afin de libérer la péninsule Arabique de l’Empire ottoman qui en occupait alors la plus grande part. Il voulait ainsi créer un État arabe unifié allant d’Alep en Syrie à Aden au Yémen. Cette révolte envoie vers la Palestine un nombre important de réfugiés musulmans pro-ottoman.
En 1920, un rapport de la Société des Nations évalue la population globale de la Palestine à 700 000 personnes, dont 511 000 Musulmans (421 000 sédentaires et 90 000 Bédouins), 20 000 Druzes, 85 000 Chrétiens et 84 000 Juifs.
9) 1921-1946 (Mandat Britannique en Palestine)
En 1921, L’émirat de Transjordanie voit le jour (1921-1946) ce qui a pour conséquence une immigration massif de Bédouins transjordaniens sédentarisés vers la Palestine, fuyant le nouveau pouvoir.
Le recensement britannique de 1922 donne 760 000 personnes en Palestine, dont 560 000 musulmans (472 000 sédentaires et 92 000 Bédouins), 24 000 Druzes, 86 000 Chrétiens et 86 000 Juifs.
Au niveau de l’immigration en Palestine, les britanniques vont jouer à un double jeu, d’un coté en laissant libre action à l’immigration juifve et de l’autre favorisant l’immigration musulmane, de leurs possessions et protectorats de la région vers la Palestine.
En 1931, le deuxième recensement britannique donne 880 000 personnes en Palestine, dont 588 000 Musulmans (493 000 sédentaires et 95 000 Bédouins), 27 000 Druzes, 90 000 Chrétiens et 175 000 Juifs.
10) 1947-1949
En 1947 l’UNSCOP estime la population de Palestine à environ 1 532 000 personnes dont 900 000 Arabes musulmans, 98 000 Bédouins, 30 000 Druzes, 100 000 Chrétiens et 600 000 Juifs.
Après le Conflit judéo-arabe de 1947-1949, 250 000 Arabes musulmans restèrent dans les frontières de l’État d’Israël auxquels s’ajouteront 200 000 Arabes musulmans supplémentaires de la bande de Gaza (sous contrôle égyptien) et de Cisjordanie (sous contrôle jordanien) qui furent autorisés à immigrer en Israël dans le cadre de regroupements familiaux et obtinrent la citoyenneté israélienne.
En 1950, l’ancienne Palestine devenue (ou redevenue) Israël voit sa population composée de 450 000 Arabes, 98 000 Bédouins, 300 00 Druzes, 100 000 Chrétiens et 700 000 Juifs… En fait, sur la population musulmane «sédentaire» de 1947 (900 000), 450 000 refusèrent d’intégrer le nouvel état d’Israël (non pas 750 000 comme on aime à le dire) et choisirent l’exil.
En conclusion on peut réellement dire que la population arabe musulmane de Terre Sainte s’avère être issue de la fusion de ces diverses vagues successives d’immigration musulmane et n’est pas a proprement parler, et donc pas plus que les autres, une population autochtone « ancienne ».
Buffalo
Commentaire de Pug, rajouté le 6 mai 2017: Avec ce travail de recherche de Buffalo, on voit clairement que, depuis plusieurs siècles, la Palestine a servi a accueillir des réfugiés musulmans de régions colonisées par les Européens ou libérées des Ottomans, quelques décennies seulement avant les vagues d’immigration juive d’Europe et même après, comme les Bédouins fuyant la Jordanie en 1921. Il est donc d’une hypocrisie assourdissante de reprocher aux Juifs de se réfugier en Palestine pour fuir les pogroms ou le Nazisme quand les musulmans même non-arabes le font!
Quant à l’accusation selon laquelle l’Etat d’Israël n’a pu exister que grâce à la Shoah, elle est totalement biaisée et partiale. En premier lieu, la révolte arabe de 1936-1939 a mené à la restriction britannique de l’immigration juive en Palestine, par laquelle les Britanniques voulait amadouer les Arabes. Ce blocage de l’immigration juif en Palestine, combiné au refus des nations d’Europe et du continent américain d’accepter des réfugiés juifs d’Europe, à la conférence d’Evian de 1938, encourage les Nazis à l’extermination puisque nulle autre solution n’existe pour débarrasser l’Europe des Juifs. Si les Britanniques n’avaient pas fermé les portes de la Palestine aux Juifs et s’il avait été possible d’évacuer en Palestine seulement 1 million de Juifs d’Europe sur les presque 6 millions exterminés, la population juive en Palestine aurait largement dépassé la population arabe et l’Etat d’Israël aurait peut-être été créé avant. Et surtout, la population juive n’aurait pas été autant en position de faiblesse et en risque d’une nouvelle extermination qu’elle l’a été en 1948. On peut donc raisonnablement dire que l’Etat d’Israël n’a pas bénéficié de la Shoah, comme le disent certains, mais au contraire a été retardé et mis en danger par la Shoah.
Sources :
- « Proclamation de Bonaparte, Moniteur universel, 1799 » sur France Diplomatie
- Census of Palestine -1860 – in Britania Encyclopædia Universalis
- Census of Palestine -1890 – the Ottoman Empire administration of Palestine
- George Adam Smith, Atlas of the Historical Geography of the Holy Land, 1915
- The British Mandate For Palestine – San Remo Conference, April 24, 1920
- An interim report on the civil administration of Palestine, during the period 1st July, 1920-30th June, 1921
- Census of Palestine -1922 ; Report by E. Mills, B.A., O.B.E., Assistant Chief Secretary Superintendent of Census
- La question de Palestine portée devant l’organisation des Nations unies (1922-1947)
- Census of Palestine -1931 ; Report by E. Mills, B.A., O.B.E., Assistant Chief Secretary Superintendent of Census
- Report of UNSCOP – 1947
- Rapport ONU « L’émigration des Arabes de Palestine dans la période 1/12/1947 – 1/6/1948. »
- United Nations Special Commission, First special Report to the Security Council :
The Problem of Security in Palestine, 16 avril 1948 - Félix-Marie Abel, Histoire de la Palestine depuis la conquête d’Alexandre jusqu’à l’invasion arabe :
De la conquête d’Alexandre jusqu’à la guerre juive, vol. 1, Librairie Lecoffre, 1952 - Les migrations des musulmans algériens et l’exode de Tlemcen (1830-1911) Charles-Robert Ageron 1967
- Ordre et désordres dans l’Istanbul ottomane, 1879-1909: de l’état au quartier Par Noém Lévy
(immigration balkanique et caucasienne de 1860-1882) - Histoire de la Turquie, de l’Altaï à l’Europe Par Ibrahim Tabet
(immigration bosniaque de 1908-1909)